"L'impromptu de la librairie" pour Amélie Nothomb
« L’impromptu de la librairie » par JB Manuel
réunissant quelques uns des épistoliers les plus célèbres
à l’occasion de la venue d’Amélie Nothomb à la Librairie « Comme un roman », à Chatou pour son ouvrage Une Forme de vie, autofiction épistolaire
Madame de Sévigné : Si je vous dis que j’habite le château de Grignan et que je passe le plus clair de mon temps à écrire à ma fille Françoise, Françoise de Sévigné, vous m’aurez devinée, Madame de Sévigné, pour vous plaire. Oui je sais, j’ai quelques traits un peu vieux, un peu masculins ? Ah… mais souvenez-vous qu’à mon âge, vous tous, vous n’en vaudrez guère mieux, c’est ce que me disait Corneille en me faisant sauter sur ses genoux… Bon, je prends la parole avant mes camarades écrivains épistoliers car, sans fausse modestie, la postérité m’a érigée papesse de la correspondance. Je suis dans les Petits Classiques Larousse !
Voltaire : Mais j’y suis aussi, et en bonne part ! Ne vous déplaise chère Sévigné, moi, François-Marie Arouet, plus connu sous le nom de Voltaire, j’ai, à mon actif, plus de 23000 lettres que j’ai semées dans toute l’Europe. Artémon de Cassendreia, le plus ancien théoricien de l’art épistolaire avait, heureusement pour nous autres épistoliers, plus de vertus et de dents que tous les prophètes car un prophète édenté n’est pas écouté avec le respect qu’on lui doit. Et vous, Flaubert…
Flaubert : Des tonnes ! Des tonnes de lettres que j’ai écrites ! Comptez mes volumes dans la Pléiade ! Mais, je ne remonte pas à Mathusalem, ou alors à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. En tout cas, si vous voulez mon avis, si nous sommes encore là après toutes ces années, c’est grâce à la forme, la forme, d’ailleurs le livre de Mademoiselle ne s’appelle-t-il pas « Forme de vie » ? Qu’en pensez-vous Proust ?
Proust : Gustave, je vous admire mais le nombre de lettres ne fait rien à l’affaire. Moi aussi, j’ai quantité de lettres signées Marcel, Marcel Proust. Pour l’occasion, exceptionnellement, je me suis couché tard pour lire ce livre d’Amélie… Amélie, Albertine, noms de femmes, noms de fleurs, noms de pays. Quel lien secret se tisse entre la plume et les noms lorsqu’on écrit une lettre ? L’imagination ou le souvenir remplit entièrement la conscience.
Sévigné : Messieurs, nous accueillons comme il se doit une jeune romancière qui déclare elle-même : « Je suis épistolière depuis bien plus longtemps que je ne suis écrivain ». Voilà qui ne pouvait que satisfaire notre plaisir.
Voltaire : Je tire le premier. En lisant les aventures militaro-gastronomiques de ce soldat natif des anciennes colonies anglaises perdu dans les sables de l’Orient qui nous a enseigné les bonnes façons de manger, j’en veux pour preuve les fameuses tartines d’Ezéchiel, confectionnées avec de la bouse de vaches, je m’émerveillais de la fantaisie de l’auteur. Avec elle, on se divertit de tout, on ne s’ennuie de rien. Un récit comme le sien vaut bien tous les traités de nos honnêtes philosophes.
Flaubert : Je suis d’accord Voltaire. Ton credo est mien : tous les genres sont bons sauf le genre ennuyeux. Cette Amélie Nothomb, quel talent, bon sang, quel talent ! Généralement c’est ce que je me dis en me lisant, mais j’ai fait une exception. Dans ses lettres, on a l’impression de voir vraiment ce personnage « hénaurme » sous les yeux. Hein, j’exagère ?
Proust : Pas du tout Flaubert, pas du tout, d’ailleurs, l’image qu’on se fait de son destinataire est parfois plus belle que la réalité. J’évoquais dans mes « jeunes filles en fleurs », un écrivain , Bergotte, je l’imaginais sous les traits d’un Victor Hugo tout blanc de barbe, affable, un sourire de sage…et puis lorsque je le vis pour la première fois, il me fit l’impression d’un petit gratte-papier tout étriqué sorti d’un petit bureau d’une obscure administration. Quelle déception…
Sévigné : Mais ma lettre est un miroir. Je sais, mon style en est négligé et je n’ai pas le temps de relire aussi mes lecteurs me font la grâce de ne pas me reprocher mes fautes d’orthographe, mais enfin, n’est-pas là me voir au naturel ? Ces lettres ne sont que le reflet de ma personnalité et je m’y confie, sans fard. Je parle des autres pour parler de moi, manque de bienséance pour un auteur classique ?
Voltaire : Marquise, pas de principes jansénistes ou je fourbis mes armes afin d’écraser l’ infâme religion !
Sévigné : Comme vous voulez. Dans mes lettres, je suis loin de mes interlocuteurs et proche à la fois, n’est-ce-pas cela un écrivain ? C’est bien la question que pose dans le livre de Mademoiselle Nothomb, Monsieur Mapples ?
Proust : D’où l’idée qu’il n’est pas bon de rencontrer les écrivains !
Voltaire : A ce compte, pas de signature à la Librairie Comme un roman !
Flaubert : Question : faut-il rencontrer ses lecteurs ? Pas davantage ! L’Art, mes enfants, n’est-il pas d’être absolument soi-même ? C’est pas de moi, c’est du Verlaine. Je mets des siècles à être moi-même dans mes romans, et je suis moi, direct, tout craché, dans mes lettres.
Proust : Bien sûr, tout se dit dans les mots, peu importe l’apparence et acceptons même le mensonge comme une part de nous-mêmes. Laissons à nos souvenirs et à notre imagination le bénéfice du doute et considérons que la vérité des êtres se dévoilera un jour ou l’autre, dans toute leur ampleur au détour d’une petite madeleine ou d’une tasse de thé, ou d’un hangar à pneus, le moment venu. L’écriture des lettres demande de la patience.
Sévigné : Quoiqu’il en soit, ce dernier ouvrage de Mademoiselle Nothomb célèbre la grandeur et la servitude de l’échange épistolaire et je voudrais son talent de la description pour approcher avec simplicité son personnage qui est, c’est le cas de le dire, un personnage à croquer.
Proust : J’en dirai quelques mots à maman. … Je retiens de ce livre que nous devons avoir une conscience encore plus aigue de notre esprit afin qu’il ne se croit pas dérivé de notre corps.
Voltaire : Mademoiselle, venez nous rendre visite à Ferney, Madame du Châtelet est plongée dans sa lecture de Newton, avec vous je suis sûr que nous aurons plus de fantaisie !
Flaubert : Un océan de fantaisie ! J’exagère ? (acquiescement des autres). Et bien, comme il est d’usage en fin de lettre, nous vous adressons, cher Amélie Nothomb, nos vifs remerciements pour votre présence ici,
Sévigné : ….. veuillez agréer
Voltaire :…. l’expression
Proust :…de notre sincère gratitude.
Tous : Bien à vous, François-Marie, Marie-Chantal, Marcel, Gustave.
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