Jean-Baptiste Manuel

Jean-Baptiste Manuel

Eloge de l'enseignement

Discours  prononcé le 4 juillet 2014. Le Vésinet

                                                                                     

Le quatre Juillet est je jour de la commémoration de l'indépendance des Etats-Unis. Le quatre juillet 1848, c'est la mort de Chateaubriand, le quatre juillet 1934, mort de Marie Curie, quatre juillet 1980, mort du grammairien Maurice Grévisse. Je pourrais décliner cette date encore longtemps. Mais pourquoi?

Tout simplement parce que notre matière, le français, les lettres, la littérature repose en grande partie sur ce qui n'est plus. Nous travaillons, nous côtoyons des êtres qui ne sont plus de ce monde et à chaque fois que nous évoquons Rabelais ou Montaigne, Molière ou Racine, Verlaine ou Eluard, nous les exhumons, les ressuscitons afin de les faire vivre, revivre et chaque cours est une commémoration, une forme d'hommage que nous leur rendons. Je pense, à cette réponse de Borges à qui on demandait quels étaient ses proches amis et qui répondait, dans sa nuit aveugle, en regardant le ciel: les morts.

         Oui le ciel est peuplé de ces auteurs avec lesquels nous dialoguons et, pour ma part, en analysant un poème de Baudelaire, je me demande quelquefois ce qu'il dirait en m'écoutant.

         Comment transmette la vie, faire vivre ce qui n'est que de l'encre sur le papier? Comment susciter chez les élèves l'essentiel qui est le plaisir et l'amour des textes? C'est là notre grandeur et notre servitude. La littérature est un art avec ses complexités, ses nuances, ses techniques, ses ambitions, ses contradictions, ses chefs d'oeuvre, ses échecs, son histoire et nous l'enseignons. Notre public, vaste public, est composé d'élèves tout frais émoulus d'une société trop conditionnée par le résultat au détriment de l'apprentissage qui est long, ardu, heurté, pénible mais gratifiant et libérateur.

         Nous enseignons donc un art avec nos moyens, nos devoirs, nos méthodes, nos textes académiques. Alors il nous faut faire naître dans les jeunes esprits le sentiment de la beauté : la délicatesse d'une césure qui vient à son rythme, la puissance d'une métaphore qui révolutionne le langage, la place précise et pertinente d'un mot, d'un petit mot dans une phrase, l'ironie précieuse, la galanterie raffinée, la tension dramatique le narrateur bienveillant, etc...etc...

         Tout cela nous parait simple, visible, mais que d'efforts il faut déployer pour donner aux mots leur sens parfois multiple, pour capter l'attention et, du sentiment de la beauté, aller au sentiment de la langue.

           […]

Les sorties scolaires ? nous en avons réalisé et, à l'instar du Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre, pour combien de voyage partons-nous autour de nos classes? Combien de ciels différents avons-nous explorés, guidés par Jean de Léry, Bernardin de Saint-Pierre ou Paul Claudel ? Mais aussi, combien de milieux, milieux d'affaire, milieux populaires, sociétés d'ancien régime, sociétés féodales, sociétés capitalistes, lieux intimes, chambres, alcôves, arrière-cours, taudis, palais avons-nous visités grâce à eux, les Laclos, Balzac, Zola, Huysmans ?

         Oui nous voyageons d'un texte à l'autre et nous sommes des intermédiaires, des passeurs, entre ces récits et nos élèves même si parfois d'être ce traducteur idéal, nous ressemblons davantage au poinçonneur des Lilas de Serge Gainsbourg; professeur à l'idéal enfermé dans le carré de la classe où les passagers s'arrêtent station les Halles pour s'engouffrer dans les obscurs couloirs du commerce contemporain sans apercevoir les lumières du théâtre du Chatelet, et, sous notre ciel de néon, il nous faut, non pas braver les orages, mais affronter le calme plat.

          Ô combien de professeurs qui sont partis joyeux pour des cours lointains, combien ont disparu dans une classe sans fond par une après midi maussade.

          Loin de nous, une nostalgie que nous réservons à Verlaine, loin de nous le désenchantement, il serait inapproprié car nous sommes privilégiés. […] Nous avons le choix de nos programmes en français et nous sommes attachés à cette liberté. C'est un privilège lié à notre matière qui est pour nous une source de motivation.

          Nous espérons poursuivre dans cette voie, évoluer au gré des changements mais conserver et transmettre l'esprit de notre matière, celui-là même dont nous sommes les porte-paroles.

 

Quatre juillet 2014. Bon Sauveur

 

JB Manuel

 

 

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25/02/2016
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